Wednesday, March 07, 2007

POINT DE VUE: Patrick Willemarck

L’Espagne et l’Italie s’opposent à des campagnes « porno chic » de Dolce & Gabbana. Le JEP suivra-t-il ?

On en viendrait à se demander si la séparation du pouvoir et du religieux existe dans ces pays.
Mais ce serait trop simple, je parie que notre JEP (Jury D’Ethique Publicitaire) va sanctionner dans le même sens parce qu’un jury bien pensant estimera que la propagation de ce genre d’images n’est pas bonne pour la société. Ces gens nantis de je ne sais trop quel savoir ou compétence peuvent juger de ce qui est bon ou non pour le peuple. Sans doute le font-ils en fonction de normes morales édictées dans un passé récent encore lourd de notre héritage judéo-chrétien.

Ils devraient lire le livre de James Surowiecki, The wisdom of crowds. La foule est bien plus sage et mature que ce que ces jurys peuvent penser. Par ailleurs, la censure de ces images risque à terme d’en accélérer la propagation sur le net où la rumeur se colporte sans qu’un jury ne puisse intervenir. Alors, à quoi bon ? Pour faire plaisir au Pape qui limite le sexe à la fonction de reproduction. Il n’a pas tort, tant que cela ne concerne que les animaux. Mais l’animal cortexé que nous sommes peut, lui, s’affranchir de ces lois de l’espèce que sont le sexe et la mort. La médecine marque des points contre la mort et prouve que nous devons pas nous résigner aux lois de l’espèce. Quant au sexe, que serait-il sans l’érotisme et le plaisir ?

Y-a-t-il un gouvernement dans ce monde qui oserait légiférer à l’encontre d’une éthique de l’hédonisme immanent ? La vraie question est celle que posent les politiques aujourd’hui avec plus ou moins de bonheur : que veut le peuple. Dans une société riche et développée le plaisir du sexe, comme le rappelle le professeur de la KUL dans un interview au Morgen, est un plaisir qui correspond à la satisfaction d’un des besoins de Maslow : le besoin d’épanouissement. Va-t-on le nier ou l’interdire ? Va –t-on décréter quelle pratique peut susciter l’épanouissement et laquelle ne le peut pas ?

La publicité est devenue un terrain de jeu facile pour les politiques qui espèrent encore gagner quelques voix chez les pudibonds qui à force de principes à respecter se dispensent de devoir penser. Or c’est en renonçant au temps de penser qu’on perd son temps et le nôtre.

L’image divulguée par Dolce & Gabbana, n’apparaîtra pas dans les magasines les plus populaires.
Elle est destinée à la cible qui a les moyens de se payer du Dolce & Gabbana. L’exposition à la publicité est sélective. Ce n’est pas parce qu’on est dans un media de masse que la masse nous verra. Il y a moins de 15% des annonces d’un magasine qui sont mémorisées selon les moyennes d’études de Day after recall. Ces études demandent aux lecteurs s’ils ont lu tel ou tel magasine et s’ils se souviennent de la pub qu’ils y ont vue. Si oui, lesquelles ?

Les résultats agrégés de ces études tendent à démontrer que le public ne voit que ce qu’il veut voir. Pour accroître la visibilité on essaie donc d’y glisser des ingrédients tels que le sexe, parce que c’est bien connu, c’est le cul qui mène le monde. La tendance est nettement plus développée d’ailleurs dans le secteur de la mode qui travaillent rarement avec des agences de publicité. Les créateurs qui sont à la base de l’industrie de la mode ne s’entendent qu’avec d’autres créateurs pas avec des créatifs. Mais peu importe.

L’érotisme qui occupe les annonces de publicité des couturiers et les autres, le cas échéant (je pense à Häagen Dasz ou Magnum) agit comme un symbole.
Un symbole dans le sens allemand du terme, « Sinnbild », c’est une image (bild) qui a du sens (sinn). Mais qui lui donne du sens ? Un jury ? Le Pape ? Le lecteur ? Chacun d’eux donnera à ce symbole un sens qui fait le pont avec son vécu. Le jury chargé d’un vécu qui doit juger, jugera. Le Pape condamné au célibat n’y verra que mauvaises tentations. Et le lecteur, ce sera selon son histoire, son éducation, son épanouissement, selon sa vie.

Ce n’est pas en bannissant de telles annonces qu’on rendra notre société moins futile ni moins agressive. Ceux qui le prétendent sont lâches.


Bannir de telles annonces est un combat d’arrière garde qui relève d’une société dominée par les valeurs masculines (dont les femmes ne sont pas dépourvues) : celle du pouvoir qui dicte sa loi. Dans ce monde l’annonce aurait le pouvoir de dire aux jeunes, allez-y en D&G, le Gang Bang est facilité et encouragé. Le jury aurait le pouvoir de dire non, cela ne passe pas, ce n’est pas bien. Le lecteur, on ne lui demande pas son avis.

Je crois que ces valeurs s’affaiblissent au profit de valeurs féminines (dont les hommes ne sont pas exclus), des valeurs qui font la place belle à la liberté et l’exercice de choix libres et autonomes dans le respect de notre interdépendance avec le reste de la planète.

Je respecte qu’on soit contre cette annonce. L’idée qu’on l’interdise me semble horrible et arriérée. On verra ce qu’en fera le jury ?

Patrick Willemarck gere l’agence de publicité Dansaert & Fils et est l’auteur du livre "Innover pour durer".

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